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Audrey Vernon - Rihanna Arendt

08/12
 
 
Transformer tes paniques existentielles en numéro de cabaret ? Convertir tes crises d’angoisse climatique en revue burlesque ? Recycler tes vertiges collapsologiques en sketch à paillettes ? C’est ce que moi j’appelle la méthode Vernon. Non, pas Subutex mais Audrey. Audrey Vernon. Remarque, c’est tout comme, tu me diras. Tu ris, tu te détends, et paf ! Tu te prends un flash de lucidité sociale ou politique ou écologique (au choix) en plein dans la poire. Génial pour doper sans stups toutes tes grosses flipettes du jour. Allez, tiens. Rien que pour toi, le rappel des derniers bad trips en date.
 
Dans Comment épouser un milliardaire (2009), Audrey Vernon s’est attifée d’une belle robe blanche immaculée. Bouche en coin, elle t’explique très sérieusement que le mariage reste quand même le meilleur plan thunes pour une meuf… Surtout, si l’amour est côté en Bourse et que l’union se solde en stock options. Constat imparable sur la vie sentimentale sauce bling bling, ce businesswoman show pulvérise la pièce montée du rêve capitaliste sans toucher les dividendes. T’schling !
 
Y a que les intermittents pour s’y connaître en radiations. La preuve avec Fukushima, Work in Progress, une légende japonaise (2015). Sur les planches, une représentante cynique et froide de Tepco (Audrey Vernon) et un paysan cuit au plutonium (Xavier Mathieu).
Le duo mute le drame sanitaire et humain nippon en une farce contaminée par l’atome et la connerie technocratique. Une création qui te fera phosphorer sur les lobbies du nucléaire sous un nuage de rires contagieux.
 
 
Avec Billion Dollar Baby (2019), Audrey Vernon upcycle l’angoisse parentale en stand-up anthropocène dans une lettre à son rejeton à naître. Oublie les comptines, les rondes et les berceuses. Pense bilan mondial : plastique partout, dividendes en orbite, glaciers en flaque... Mais attention, ici, pas d’ultimatum. Et encore moins de prophétie. Imagine plutôt un post-it post-apo coincé dans le carnet de santé du bébé. Une féroce lucidité en dépôt, prête à l’emploi, entre deux fléaux.
 
Nous sommes en 2025, et comme ça ne suffisait pas déjà à plomber l’ambiance, voilà qu’Audrey Vernon nous sort une version karaoké de la fin du monde : Comment traverser les sombres temps ou Hannah Arendt, la comédie musicale, Ja, Hannah Arendt, la philosophe allemande. Celle qui a décortiqué le totalitarisme et la montée du fascisme. Pourquoi ? Bah… Crises, guerres, inégalités, extrêmes… Tout confirme que l’histoire bégaie avec un humour franchement assez naze. Alors, histoire de pas sombrer dans le bad ou l’apathie totale, autant prendre une pointure de la pensée et la transformer en vedette de revue, tu crois pas ? Non ? Bon, allez, viens. On en cause avec Audrey.
 
 
 
Thomas Bernard : Hannah Arendt en revue musicale : ça vous est venu comment ?
Audrey Vernon : Ça vient de Brecht, je crois, L’Opéra de quat’ sous, l’envie d’une forme populaire, accessible. Pour moi l’art doit être d’abord transmissible... Je n’aime pas les « rébus pour initiés », comme disait Tolstoï.
 
T.B. : Pour vous, pro du stand-up : c’est quoi la meilleure punchline d’Arendt ?
A.V. : Ah ah ah, moi pro du stand-up? J’essaie de faire des spectacles marrants et je foire à chaque fois... J’ai déjà le titre d’un prochain : « Enfin drôle » mais ce sera pour après la libération. Quand la guerre aura été interdite et que les hommes seront sortis de la spirale mortifère. La meilleure punchline d’Hannah... C’est pas une punchline d’ailleurs... « apprendre à penser c’est contaminer les autres avec la perplexité à laquelle on est confronté » ou « La principale caractéristique de l’hommede masse n’est pas la brutalité et l’arriération, mais l’isolement et le manque de rapports sociaux normaux». Ou « C’est la joie et non la souffrance qui est loquace ».
 
T.B. : Ce sous-titre « Comment traverser les sombres temps » : il vous est venu en matant les infos ou en lisant Arendt ?
A.V. : Ça vient de son recueil Men in Dark Times titre qu’elle emprunte au poème de Brecht (son pote) « À ceux qui viendront après nous »... « Quand le temps sera venu où l’homme aide l’homme, pensez à nous avec indulgence. » Dans ce livre elle explique comment rire et traverser les sombres temps les yeux ouverts, avec dignité. Pour moi ce texte est un manuel.
 
 
 
 
T.B. : Comment arrivez-vous à danser sur ce fil tendu entre tragique et comique sans vous casser la gueule ?
A.V. : Déjà merci pour le compliment. Ça part du désespoir pour aller vers la lumière. Le peuple palestinien a été mon professeur dans cette leçon qu’est notre époque. Je les regarde lutter, continuer à chanter, à danser, à faire de la poésie. Ce spectacle est dédié à Ziad Medhouk, un poète palestinien professeur de français spécialiste de la non-violence qui est resté avec des enfants dans une école de Gaza.
 
T.B. : L’humour, c’est une arme de résistance politique ? Plus efficace qu’un édito dans Le Monde ? Une arme de résistance ?
A.V. : Je ne sais pas. Quant au Monde, il appartient à des milliardaires, ce n’est pas fiable. Xavier Niel a épousé Delphine Arnault, la fille de Bernard Arnault, j’arrive pas à savoir lequel des deux a fait un beau mariage...
 
T.B. : En jouant ce spectacle, est-ce que vous avez découvert une nouvelle facette de votre propre engagement artistique ?
A.V. : J’ai découvert une version mystique du spectacle proche de la prière, de l’invocation, du rituel de deuil... Une version ancestrale du théâtre. Ce spectacle depuis l’écriture jusqu’à Avignon a été un chemin à travers le désespoir jusqu’à la lumière avec Hannah Arendt, Brecht et Benjamin comme guides. Il y a eu des moments de grande joie en trouvant la beauté de leurs mots et de leur vie et des moments presque impossibles quand je devais aller « jouer un spectacle » alors qu’au même moment les Palestiniens étaient affamés par l’armée israélienne.
 
T.B. : Est-ce qu’on peut dire qu’il y a un lien entre ce spectacle et vos précédents ?
A.V. : Le capitalisme débile et mortifère. Cet appétit de mort, la banalité du mal. À Avignon passer de Arendt à Milliardaire 2 était fascinant je passais de la beauté, de la grandeur à la stupidité sans profondeur. Les milliardaires sont des tueurs en série et ils fabriquent les armes qui détruisent les peuples : « Les peuples disparaissent invisibles sous les armements ainsi l’avenir est dans la nuit et les forces des bons sont chétives. » Un extrait d’un poème de Brecht en hommage à Walter Benjamin.
 
 
 
 
T.B. : Et quand le public sort : il fredonne Michel Fugain, il pleure du Bach, ou il prend une suze tonic pour réfléchir à la condition humaine ?
A.V. : Ah ah ah en général le public pleurait à chaudes larmes, me tombait dans les bras et j’emmenais les plus traumatisés manger une glace en face du théâtre du Balcon. J’ai vraiment vécu des moments de partage intenses et magiques avec le public autour de ce spectacle... C’était beau de pouvoir enfin pleurer, penser, être en deuil de l’humanité qui regarde ce génocide en live.
 
 
Si vous voulez savoir Comment épouser un milliardaire 2 en janvier eh bien se sera le 1er à Rennes à l’Auditorium de la maison des associations, le 24 à Gonfreville à l’ECPC, le 31 à Liège (on ne sait où) et pour comprendre Comment traverser les sombres temps, ça sera le 9 décembre à Grenoble à l’Hexagone Scène nationale. Et puis sinon, hein, toutes les infos sur audreyvernon.com
Dates de tournée :
27/10, 03/11, 10/11, 24/11 et 01/12 à l’Européen à Paris
15/10 Toulouse
23/01 Rennes
24/01 Gonfreville
31/01 Liège
05/02 Auray
31/03 Caen
01/04 Rouen
10/04 Décines
22/05 La Souterraine
 
 
 
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