
Matthieu Nina a la démarche de docteur House croisée à celle de Grand Corps malade et l’élocution ralentie d’un rasta blanc sous analgésiques. La faute à un accident domestique qui le laissa handicapé bien avant d’avoir de l’acné. Comme tout ce qui ne tue pas fait vachement mal mais rend parfois marrant, le voilà qui grimpe sur scène pour raconter sa vie. Sans pathos ni drama, il déboîte les clichés validistes à grands coups d’humour noir et tout en autodérision, brise pas mal de tabous. Après une tournée de 9 mois, 52 dates et pas loin de 20 000 kilomètres parcourus, Matthieu Nina revient dans Fluide sur son ascension vers la gloire après être tombé au bas de l’échelle.
Thomas Bernard : Comment montes-tu sur les planches après un tel gadin ?
Matthieu Nina : C’est une très longue histoire. Effectivement, j’ai un accident à l’âge de 10 ans, je chute d’une échelle. Il y a à l’hôpital une espèce d’erreur médicale : les médecins attendent trop longtemps en se disant que ce n’est pas grave, alors qu’en fait, j’ai une hémorragie interne. Donc, au bout de quatre heures, ils finissent par se rendre compte que ma vie est en danger. Ils appellent un neurochirurgien en urgence qui, d’ailleurs, il nous l’a raconté après, s’est pris un PV pour avoir grillé un feu rouge pour venir m’opérer. À 10 minutes près, j’étais mort Ce mec, littéralement, me sauve la vie. Pendant l’opération, je fais deux arrêts cardiaques et je reste tout de même deux mois dans le coma. Les médecins annoncent à mes parents et à mes proches que, soit je vais mourir, soit je vais rester alité à vie. Finalement, je me réveille avec toute ma tête mais je ne parle plus, je ne bouge plus, je fais plus grand-chose à vrai dire. Donc, j’ai dû faire beaucoup de rééducation dans un centre en région parisienne.
T.B. : Et ensuite ?
M.N. : Pour la rentrée, je vais le matin dans un centre de rééducation à côté de Tours, d’où je viens, et l’après-midi en cours. 6 mois plus tard, je retourne en cours à temps partiel et je vais chez le kiné deux fois par semaine. Bon an, mal an, j’ai une scolarité relativement normale, à part que j’ai une adolescence un peu cruelle avec pas mal de moqueries... Mais ça m’a blindé, ça m’a forgé. C’est à cette époque-là, en fait, que je me découvre une passion pour la télé et notamment la Star Academy. Grand fan, je me dis que je travaillerai dans ce milieu-là. Sauf que j’habite à Tours et que j’ai zéro contact. Les années passent et après le bac, je décide de contacter un comédien humoriste, Philippe Lelièvre, qui, à l’époque, était prof de théâtre à la Star Ac’ et qui donne des cours de théâtre en parallèle dans une école à Paris. Donc, j’appelle cette école. Bien évidemment, je ne tombe pas sur lui, mais je tombe sur la directrice qui prend mon message, le transmet à Philippe et le lendemain, il me rappelle.
T.B. : Sympa…
M.N. : De là, il m’invite dans le carré VIP ; je suis comme un fou. J’ai un pass all access, je peux aller dans les coulisses, dans les backstages, dans les loges. Je rencontre la cheffe de projet de l’émission à qui je demande si elle peut me réinviter et elle le fait plusieurs fois. Quelques mois après, j’apprends que la même société de production, Endemol, va lancer la première saison de Secret Story. Je demande alors à la cheffe si elle peut me filer un stage. Alors je vais en fac de sociologie juste pour avoir une convention ; je démarre dans l’audiovisuel comme ça. Je passe l’été à la production où je fais un peu de tout.
T.B. : Tu aurais pu continuer comme ça…
M.N. : Sauf que mes études se terminent et qu’on ne me propose que des stages... Donc, je reste un certain temps à ne pas trop savoir quoi foutre et je finis par demander à mes contacts à la télé d’aller dans des coulisses d’émissions comme La Nouvelle Star, X Factor, NRJ Music Awards et Incroyables Talents, sans savoir que 15 ans après, je participerai à l’émission. En fait, un jour, à Cannes, je rencontre Helmut Fritz, le fameux chanteur de « Ça m’énerve ». On passe la soirée à délirer et il me dit : tu es drôle, il faut que tu écrives, que tu montes sur scène. Et moi, vraiment, c’était quelque chose à laquelle je ne pensais pas du tout, parce je me disais que mon handicap ne me permettrait pas d’être comédien humoriste.
T.B. : C’est quoi la bascule alors ?
M.N. : L’idée me reste encore quelques années comme ça dans ma tête et je commence à écrire des petites choses et à prendre des petits cours d’humour les dimanches dans un petit café-théâtre dans le nord de Paris. En 2019, j’ai l’opportunité de jouer dans une pièce de théâtre qui s’appelle Derniers Baisers, qui était un clin d’oeil à la série des années 90. À cette époque, j’avais vu le film Tout le monde debout avec Alexandra Lamy et j’avais mis un statut sur Facebook, disant que c’est quand même dommage que comme dans le film Intouchables, ce soit toujours des valides qui jouent des rôles d’handicapés. Et du coup, Frank Le Hen, l’auteur de la pièce, lit ça et me propose un rôle qui pourrait être joué par une personne handicapée. C’est comme ça que je fais mes premiers pas sur scène en tant que comédien.

T.B. : Et pour ton spectacle ?
M.N. : Quand la pièce s’arrête, je reprends cette idée de monter sur scène avec un spectacle de stand-up. Par un ami commun, je rentre en contact avec Pierre-Emmanuel Barré. Il me demande un petit peu ce que je fais, regarde mes vidéos et trouve ça intéressant. C’est comme ça qu’on a commencé à collaborer ensemble. En fait, moi, j’ai un peu apporté ma vie. P.E. ajoute son génie avec un storytelling rigolo, Arsen, l’autre co-auteur, apporte des super punchlines... Je schématise mais c’est un peu comme ça que ça s’est fait.
T.B. : Vanner quand on a été victime de moqueries, c’est de l’autodéfense ?
M.B. : Oui, il y a un peu de ça. En fait, avant mon accident, j’aimais beaucoup rire et amuser les autres. Après, c’est vrai qu’au collège, au lycée, j’ai été assez seul à cause des sarcasmes. Mais comme je disais, ça m’a blindé, ça m’a forgé. Maintenant, le regard des autres, je m’en fiche un peu. Je fais les choses pour moi, comme j’ai envie de les faire. Parfois, ça peut me porter préjudice aussi. L’humour, ça permet non seulement de dédramatiser, mais aussi de me défendre. C’est peut-être aussi un peu cathartique. En tout cas, c’est quelque chose que j’ai toujours aimé faire. De toute façon, j’ai toujours trouvé qu’on ne parlait pas assez du handicap dans les médias, que ce soit la télé, le cinéma, les journaux. C’est un sujet qu’on met de côté. Je trouve ça dommage parce que plus on en parle, plus les gens sont au courant et plus les gens peuvent être informés, moins il y aura de tabous.
T.B. : C’est une façon de sensibiliser aussi ?
M.B. : Oui. C’est un peu comme quand je marche dans la rue et que des enfants demandent à leurs parents pourquoi je marche comme ça ? Et que les parents disent : viens, avance, ne le regarde pas. Je trouve ça bête, en fait, parce qu’il faudrait mieux expliquer les choses plutôt que d’en faire un non-dit qui crée justement tous ces tabous. J’essaie de faire différentes choses pour sensibiliser comme de co-présenter et co-organiser en 2015 et 2016 des soirées handifashion avec valides et personnes en situation de handicap sur un même plateau. Là, avec ce spectacle, je pense parler d’un sujet un petit peu tabou que les gens, en général, abordent avec pathos. C’est tout ce que je veux pas ! Je veux qu’on
rigole de ça. Je veux montrer qu’on peut être handicapé et être comme tout le monde, qu’il y a aussi des handicapés qui sont des gros connards. Souvent les handicapés sont vus comme des petites choses fragiles. Mais il y a aussi des..., excuse-moi le terme, des gros bâtards chez les handicapés.





