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Samuel Certenais - Où sont les Super Dupont ?

22/09
 
 
CRÉÉ PAR GOTLIB ET LOB AU DÉBUT DES 70’S DANS LE JOURNAL PILOTE, SUPER DUPONT INCARNE À SA FAÇON UN IDÉAL DE VIRILITÉ ET DE PATRIOTISME À LA FRANÇAISE. SATIRIQUE ME DIRIEZ-VOUS ? OEUF CORSE !
 
Avec sa moustache flamboyante, son béret et sa cape tricolore, c’est surtout le symbole d’un machisme un peu rance et d’un chauvinisme bête à la fois risible et pathétique. Néanmoins, notre héros ne se contente pas dans ses aventures de défendre la France contre les menaces extérieures, il s’attaque également aux travers de la société. À travers ses aventures, il dénonce le racisme, le sexisme et les injustices sociales. À sa façon, il incarne une masculinité qui se veut protectrice et juste, tout en étant consciente de ses propres limites. En 2025, dans une France où les stéréotypes de genre sont souvent remis en question, Superdupont avec son marcel échancré et ses belles bacchantes, ne serait-il pas le Pedro Pascal français ? Un héros – certes de parodie – mais dont les extravagances permettent de questionner toutes les normes ?
 
Dans son spectacle « Garçon », Samuel Certenais fait lui aussi preuve d’un certain héroïsme. Originaire de L.A. (44), il nous narre en une heure son itinéraire d’enfant pas gâté, que ce soit par une maladie grave (mais révolue) ou par un papa handicapé des sentiments. En fauteuil pendant deux ans, contraint d’abandonné le foot, Samuel découvre très tôt sa vulnérabilité et plutôt que de la craindre, il décide de l’explorer. Sans fausse pudeur et à grand renfort d’anecdotes plus rustiques qu’authentiques, Samuel décortique avec beaucoup d’autodérision l’évolution de son rapport aux femmes et bien sûr, avec une gent masculine soumise aux injonctions viriles, pressions et attentes d’une société normative. Comment dealer avec son refus de la virilité traditionnelle et l’envie d’être aimé par ses potes de son âge et un père fan de foot ? C’est quoi être un mec hétéro quand on aime les robes et le plaisir prostatique ? Et surtout est-il possible de devenir un homme sans ressembler à papa ?
 
Deux époques très éloignées, deux keums bien différents et pourtant Superdupont comme Samuel Certenais représentent à leur façon une masculinité qui peut être à la fois forte et sensible. Dans un contexte où des masculinistes s’en prennent violemment aux meufs, nos héros de cape et jupe peuvent être vus à leur manière comme des précurseurs d’une virilité moderne, moins rigide, plus ouverte et donc forcément souhaitable. Bonus non négligeable, ils nous rappellent que seul l’humour véritable peut donner la force d’être soi-même, de défendre ses valeurs tout en acceptant la diversité des expériences humaines.
 
 
Thomas Bernard : Le moteur ?
Samuel Certenais : Ce qui me pousse à écrire, c’est tous les tabous autour de la masculinité. Pendant toutes ces années de mal-être où la défonce a été mon exutoire. Je me sentais très seul. Avec mes petites copines, j’arrivais à parler de pas mal de choses mais par contre avec les mecs autour de moi, rien. Je ne comprenais pas pourquoi. Est-ce qu’on ne parle pas de ça ? Étais-je le seul à vivre tout ça ?
 
T. B. : Le déclic ?
S. C. : 3 mots : quête de sens, drogue et alcool. Bon, c’était pas de la dépendance mais un gros lâchage. La défonce me permettait d’oublier qui j’étais et ça me faisait du bien. Quant à la quête de sens, je me suis retrouvé par « hasard » à monter sur scène. J’étais animateur dans des clubs de vacances et comme je parlais anglais et espagnol, je traînais avec l’équipe des internationaux qui assuraient la moitié des spectacles, de danse surtout. C’était vraiment un gros niveau mais problème : le chorégraphe était fou ! Il y avait un gros turnover. Je me suis retrouvé sur scène pour faire marrer les gens au début puis il y a eu besoin d’un remplacement pour une choré et là, je me suis retrouvé à répéter pendant sept jours non-stop. J’ai fait cette danse et on m’a applaudi ; ça m’a glacé le sang... C’était ça ma vie ! À cette époque, je sortais juste d’une école de commerce qui m’a dégoûté de la vie et du commerce. Je ne comprends même pas comment j’ai pu investir mon argent et celui de mes parents dans une école qui m’apprenait à manipuler les gens. Je me suis rendu compte que l’art était la seule manière de vendre quelque chose de sain parce que je ne mens pas quand je crée.
 
T. B. : Ensuite ?
S. C. : Je me suis alors inscrit à l’école de l’humour et des arts scéniques , l’EHAS, où une fois par mois, il y a des gens connus qui viennent donner une master class, voir ce qu’on fait. Et ce jour-là je joue un sketch devant Noémie Delattre où je raconte quand je porte une robe à l’extérieur pour la
première fois. J’ai la trouille d’être pas assez drôle mais à la fin de mon sketch Noémie applaudit, fond en larmes et me dit que c’est magnifique, qu’il faut absolument que ce soit joué dans les écoles. Une fois de plus, tout s’aligne ; c’est un signe de plus que je suis sur le bon chemin. Elle comprend que maintenant mon rôle c’est de transmettre d’autres modèles à des jeunes hommes. Elle m’accompagne depuis.
 
 
T. B. : Une oeuvre t’a inspiré ?
S. C. : Le premier truc qui me vient en tête, c’est un film de Xavier Dolan Laurence Anyways. Une des plus grosses claques de ma vie ! Je me revois le mater chez moi et mettre en pause toutes les dix minutes et de me dire au moment où je le regarde que le réalisateur avait mon âge. C’est dingue ! D’où la musique de fin de mon spectacle, « A New Error » de Moderat. C’est le son qui accompagne la scène où Melvil Poupaud met une robe pour la première fois à l’université, avec cette phrase magnifique de son collègue qui lui dit : « C’est une révolte. Non, sire, c’est une révolution. » C’est magnifique !
 
T. B. : Faut être fragile pour monter sur scène ?
S. C. : La fragilité c’est la vérité du spectacle vivant même si il faut quand même se créer une espèce d’armure quand on est sur scène pour avoir une certaine structure et solidité. Et en même temps, vu que mon spectacle est sur la vulnérabilité, je dois essayer d’aller chercher, de toucher du doigt quelque chose justement de plus authentique possible. Donc je me retrouve des fois à chercher une vulnérabilité qui peut être parfois effrayante quoi. Mais bon, c’est le sujet du spectacle donc c’est cool.
 
T. B. : Ton père a vu « Garçon » ? ?
S. C. : La première fois que j’ai invité mon père, j’ai eu peur qu’il parte avant la fin. Je me suis dit merde, tout s’explique avec ce final, faut pas qu’il se taille. C’était important pour moi de montrerque son personnage évolue lui aussi. Mon père était très fier de moi après avoir vu « Garçon ». Il pleurait dans mes bras en me remerciant pour le spectacle mais surtout parce que je m’autorisais
à vivre mes rêves. Depuis, il a créé un festival d’humour qui s’appelle le festival Poul’Rire à Le Pouliguen en partenariat avec l’EHAS où tous les ans il invite sur trois jours des jeunes talents de l’école, une grosse tête d’affiche et un ancien élève qui vient jouer son spectacle.
 
T. B. : Il est où le Superdupont de 2025 ?
S. C. : Attends, on va le chercher. Pour moi, c’est un mec vulnérable, qui accepte d’être transparent et sensible. On a besoin d’avoir des représentations d’hommes de cette trempe dans les fictions. Parce que sinon, comment tu veux qu’on se reconnaisse si on n’a pas de modèle ? Des types sincères qui acceptent de se dévoiler pour le bien de la société, d’utiliser la vulnérabilité et la sensibilité comme des forces, qui s’approprient tous les trucs pour lesquels on se foutait de ta gueule au collège, de ces choses dont on nous dit depuis des années que ce sont des faiblesses. Le Superdupont de 2025, c’est un super héros sans masque et qui a l’empathie comme super pouvoir.
 
T. B. : Je veux pas divulgacher, mais je crois bien qu’à la fin du spectacle tu proposes la grande union des « beaufs » et des « barbares » ? C’est la vraie convergence des luttes selon toi ?
S. C. : Je suis un mélange des deux et je m’entends plutôt bien avec moi-même. On a mis du racisme entre ces deux catégories pour être sûr qu’elles ne s’unissent jamais. Aujourd’hui le clivage est énorme alors que les problèmes sont quasi les mêmes dans chaque zone. Mais les politiques ont bien joué leur partition, et le racisme déjà existant est encore plus prégnant. Le réveil va être dur pour tous ceux qui croient que le RN pense aux prolos.
 
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