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Laura Calu - Mythe décisif

09/09
 
 
 
Nous sommes en 4 après J.-C. (Delpierre). Toutes les pages de Fluide Glacial sont occupées par dela « bandessinée »bien marrante devant laquelle je pouffe parfois... Toutes ?Non ! Une doublepage irréductible résiste encore et toujoursà l’envahisseur laissant tout de même passer un strip ou deux parce que son auteur est vraiment trop sympa.
 
Toujours en quête de nouveaux divertissements, je cours de salles des fêtes en comedy clubs, de scènes ouvertes en places de village, pour dégoter la comique ou l’humoriste qui saura vous fendre la pipe à grands coups de glaive. Alors figurez-vous qu’un jour, une foule rassemblée aux abords des arènes de Nîmes attira mon attention aiguisée par une bouteille de pastis Le Camarguais. Suite à une story insta, la plèbe était venue écouter les diatribes cyniques et autres déclarations amères d’une escl…, euh, d’une intermittente du spectacle répondant au nom de Laura Calu. Intrigué par le titre du show, « Senk », comme par l’architecture du lieu, je pris place sur un banc dans un gradin sans clim, réservé aux critiques professionnels.
 
Sur un plateau écrasé par la lumière des spotlights, un pantin arbore une cuirasse de gladiateur dont chaque morceau s’avère être l’accessoire d’un personnage. Théâtre antique de boulevard en une personne, Laura Calu change de personnalité comme de toge et livre un combat implacable contre elle-même. Pendant deux heures, j’assiste à une mise à mort (de rires) comme une mise à nu. Une tragi-comédie où l’héroïne, pièce par pièce, se dévoile sous nos yeux n’épargnant ni ses contradictions crasses ni les incohérences de notre épique époque. Parfois, sort de l’ombre son double, qui, en guise de mauvaise conscience, vient par surprise titiller ses valeurs. Mais comme toutes les grandes gladiatrices, Laura Calu refuse de porter l’armure ou même de se blinder et préfère exhiber fièrement plaies et blessures un rictus au coin des lèvres...
Sans mytho, transformer les galères tragiques en odyssée comique ce n’est pas donné à tout le monde. Laura Calu réussit ce tour de magie sans potion. Donc, pour moi, « Senk », c’est un pouce levé comme sur messenger.
 
 
Thomas Bernard : Comment tu as commencé ?
Laura Calu : Mon parcours est semé d’embûches. Je dessinais quand j’étais gamine, beaucoup, et je dessine encore. J’ai toujours aimé la BD. D’ailleurs, j’ai énormément lu Fluide Glacial quand j’étais plus jeune de mes 20 à mes 25 ans. J’achetais tous les numéros qui sortaient, même les numéros spéciaux de l’été. Je pense même encore les avoir tous. Je voulais faire du dessin mais je savais pas ce que je voulais faire exactement. Donc, j’ai fait de la couture dans un lycée pro parce que je me disais que je pouvais peut être faire des fringues, mais en même temps, ça me faisait chier de coudre. Du coup, j’ai quitté le lycée après mon BEP et j’ai dit à ma mère que je voulais être tatoueuse. Pendant un an, je me suis retrouvée dans un salon de tatouage et finalement ça m’a fait chier aussi. C’est pas du tout ce que je voulais faire de ma vie. J’ai quitté à 18 ans le sud-est de la France – je vivais dans le Var, chez les fachos – pour faire des écoles de théâtre, prendre des cours d’impro à Paris.
 
T.B. : Ensuite ?
L.C. : Très vite, je me suis rendu compte que c’était un monde extrêmement difficile pour les gens qui n’étaient pas fils de ou gosse de riche. Je n’avais pas les moyens de me payer des écoles comme le Cours Florent et d’avoir les bons contacts. J’ai arrêté. J’ai bossé à la télé pendant trois ans. Je la fais courte, mais je me suis retrouvée à placer du public dans des émissions télé, puis du casting. Et là, j’ai découvert l’envers du décor de ce milieu que j’ai bien détesté. C’est Internet qui est venu me sortir de ce merdier ; j’ai posté des petites vidéos de blagues – à la base pour amuser des potes – et elles ont tourné à mort ! Alors j’ai continué et quelques années après, j’ai lancé mon premier spectacle.
 
 
T.B. : Il paraît que tu as bossé au parc Astérix ?
L.C. : C’est vraiment une des meilleures expériences de ma vie. Souvent, on en parle un peu comme une vanne, mais moi j’ai adoré y bosser à l’époque parce que ça m’a remis les pieds dans le milieu des comédiens. Ça m’a libérée de cet univers de la télé que je détestais pour son côté m’as-tu-vu. Je me suis retrouvée à faire Panoramix, Obélix, des personnages où j’étais démasquée, genre une Gauloise, mais avec du texte quand même. Je testais vraiment mes premières blagues face au public, c’était très amusant quoi. Puis j’y ai tout de même rencontré mon metteur en scène qui est aussi mon mari.
 
T.B. : Comment as-tu écrit Senk ?
L.C. : J’ai eu deux producteurs pour mon premier spectacle, bien différents : un avec qui ça ne s’est pas bien passé, un autre avec qui ça s’est encore plus mal passé. On s’est fait niquer vraiment professionnellement. J’étais l’énième humoriste qui a du monde dans ses salles grâce à internet et qui du coup se fait piquer sa thune par des mecs qui s’approprient tout même le mérite. Puis je suis tombée enceinte pendant la période Covid et j’ai fait une énorme dépression post-partum à cause de tout ça ; je n’avais plus les droits de mon spectacle et je venais d’avoir un bébé. J’ai écrit des trucs très déprimants sur mon portable tous les jours. J’écrivais tout ce qui m’énervait, tout ce qui m’emmerdait. Je ne savais pas vraiment ce que j’allais faire de cet amas d’informations et le metteur en scène qui partage ma vie m’a dit que c’était ça mon spectacle comique ; « C’est ça qui va te sortir de la merde. Il faut que tu arrives à transformer cet amas en quelque chose de drôle. »
 
T.B. : Parle-nous un peu de la scéno...
L.C.: J’aime beaucoup les métaphores et je trouvais intéressant de dévoiler que je portais une carapace depuis des années à cause d’Internet. Sur les réseaux, on fait des choses pour que les gens nous aiment, parce qu’il faut aller dans le sens de l’algorithme, de quelque chose qui plaît, de surfer sur des combats qui sont un peu hypocrites, pour pousser les gens à faire du like. Je pense que je disais pas la vérité pour qu’on m’aime et ça me chagrinait parce que j’avais l’impression d’avoir une communauté qui ne me connaissait pas vraiment, qui m’aimait pour ce que je ne suis pas du tout. Cette carapace, je l’ai représentée par une armure.
 
T.B. : Pourtant faut se blinder pour faire ce métier ?
L.C.: On l’a vu dernièrement avec Blanche Gardin, Merwane et même Alexandra Pizzagali qu’avec une mauvaise blague ou une blague mal interprétée relayée par des médias qui l’interprètent encore plus mal, on termine un humoriste. Quand j‘écrivais ce spectacle, je n’avais qu’une peur, que les gens me détestent. J’avais l’impression d’être une sorte de gladiatrice qui allait au combat et qui pouvait mourir à la moindre vanne. Avec les pouces levés, baissés. Je trouvais qu’il y avait un truc très antique dans tout ça. Les humoristes sont devenus les gladiateurs des temps modernes.
 
T.B. : Calu, c’est un pseudo ?
L.C.: En fait, « calu », c’est le fou du village. Moi, je viens d’un tout petit village de 800 habitants à la Marcel Pagnol et j’étais vraiment la tarée de l’école. On disait toujours que j’étais « calu ». La meilleure revanche de ma vie d’adulte, ça a été d’assumer ce nom, comme nom de scène.
 
T.B. : C’est un bon moteur la colère pour écrire ?
L.C.: Malheureusement, je suis obligée de répondre oui. Ça m’énerve d’être quelqu’un en colère et je passe ma vie à essayer de m’apaiser, d’être quelqu’un de moins en colère, mais dès que je suis moins en colère, j’ai plus rien à dire. J’ai fini par accepter d’être révoltée, énervée, en colère, aigrie, que c’est ça qui m’anime. C’est horrible, mais c’est vrai. Je suis animée par ma colère, il n’y a rien qui va en ce monde. C’est encore plus normal d’être en colère aujourd’hui que d’en avoir rien à foutre. Pour se sentir bien faut être soit sous Lexomil, soit fermer les yeux et faire l’autruche. Et moi, je ne fais pas l’autruche.
 
 
 
 
 
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